Accueil Les Objectifs Les Effets L’impact Le Lab
Laboratoire de communication Durable
Ctrl S

Pour une écologie de la trace

Une crise d’une ampleur similaire aux SubPrimes de 2007 secoue le monde, 20 ans après, et fait s’effondrer un système alors fondé sur l’attention des utilisateurs du numérique arrivée à saturation. Parce que l’attention est une ressource, son caractère limité doit être pensé dès aujourd’hui.

Pour une écologie de la trace

La crise de 2027 rend compte de l’explosion de la bulle de l’attention des Hommes, une ressource aujourd’hui connue et comprise comme limitée et collective, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé. Eco Magazine revient sur la crise de la décennie pour en comprendre les rouages. 

Cette crise, connue aussi sous le nom du AttentionPrimes, éclate en effet pas moins de 20 ans après le séisme économique qu’a provoqué l’explosion des prêts immobiliers américains peu fiables sécurisés sur des hypothèques qui n’eut bientôt plus valu rien.

En 2007, les “primes” constituent ces prêts immobiliers proposés aux emprunteurs traditionnels, tandis que les “subprimes” sont des prêts particuliers pour des foyers plus modestes qui ne répondent pas aux critères d’attribution des primes.

7300 jours plus tard, en 2027, c’est un schéma similaire que l’on peut observer. Le prime correspond à une forme d’abonnement numérique auquel les personnes plus aisées souscrivent pour s’affranchir des publicités sur les plateforme en ligne de visionnage de films, d’écoute de musique, les réseaux sociaux, les boutiques… et ainsi préserver leur précieuse attention dont ils ont quotidiennement besoin pour rester concentrés sur leur tâche de création de richesse. A contrario, une grande partie de la tranche plus modeste de la population accepte, plutôt que de payer pécuniairement des abonnements, de rétribuer les plateformes numériques qui rythment leur vie en attention. C’est le cas de Youtube dès 2019.

Les Subprimes de 2007 sont caractérisés par plusieurs éléments, entre autres le crédit rechargeable qui permet la réévaluation régulière de la valeur du bien immobilier servant de garantie au prêteur (statistiquement en hausse depuis la seconde guerre mondiale) autorisant ainsi l’emprunteur à se réendetter. 

A nouveau, ce mécanisme se retrouve dans les AttentionPrimes de 2027 où, régulièrement, en fonction de la recette que l’utilisateur apporte aux marques qui choisissent de faire de la publicité ciblée aux abonnés subprime, on augmente les pubs et on accapare davantage son attention et sa consommation en contrepartie de goodies numériques. Ce n’est pas moins de 12.000 indicateurs d’efficacité qui sont proposés aux annonceurs publicitaires sur Facebook et le résultat est sans appel : le bombardement de publicités particulièrement ciblées et personnalisées jusque dans la syntaxe et le vocabulaire utilisé permettaient de convertir en clic 4 visiteurs sur 5 et en vente 3 visiteurs sur 5. Le prix de l’abonnement prime économisé était au final doublé puis injecté dans des produits et services que l’abonné subprime achetait.

La crise des subprimes naît aux États-Unis, de problématiques immobilières étasuniennes, de défaillances des étasuniens, et des négligences du système bancaire et financier du pays de l’Oncle Sam. Sa généralisation mondiale est une externalité de cette crise de niche, qui résulte de la participation des banques outre atlantique aux montages et rend compte de la globalisation bancaire.

Les AttentionPrimes et le marché de l’attention fonctionnement quant à eux dès le début à l’échelle planétaire, comme le réchauffement climatique, le terrorisme, les cycles de la lune, il n’y a pas de frontières à ces mécanismes de captation et de revente de la ressource de l’attention, dans un monde pourtant encore contrôlé étatiquement. 

Le système autorisant l’emprunteur à se réendetter grâce à la garantie de valeur de son logement continue jusqu’en 2007.  Ce système ne paraissait alors pas délirant pour les banques : ces garanties étaient solides car les prix de l’immobilier en constante augmentation. Les charges financières de remboursement sont alors très allégées pour attirer un maximum d’emprunteurs et augmentent progressivement au bout de 2 ou 3 ans, le taux d’emprunt étant indexé sur le taux directeur de la FED. 

La crise de l’attention présentait également ce fonctionnement de taux d’accaparement allégé au début pour attirer l’utilisateur. Au bout d’un certain temps, la cadence des publicités ciblées et des dark patterns (voir notre article : Dark patterns, bulles de filtres et algorithmes, une promenade numérique plus vraiment choisie) qui lui sont présentées accélère et leur format varie. Début 2019 par exemple sont introduites les publicités ciblées au milieu des storys de ses amis sur Instagram, le réseau social fondé sur le partage de photos. Le mouvement machinal du doigt permettant de passer d’une story à une autre fait que toutes ces publicités sont vues et remarquées, même perçues comme familières et positives car fondues dans le flot rassurant des connaissances. En 2024, les publicités se nichent désormais sur les photos de vos amis : chaque photo publiée sur les réseaux sociaux se voit taguée des produits, tag dirigeant directement à la marketplace. En 2027, quelques mois avant la crise, un nouvel espace publicitaire est créé au sein même des conversations privées et se fonde sur les mots clés détectés de vos conversations. Les coûts publicitaires sont indexés sur les taux directeurs des GAFAM, la FED étant jugée incompétente pour fixer ce type de taux très spécifiques.

2007 voit l’inflation grimper et la croissance américaine faiblir. La FED fait passer ses taux de 1% en 2004 à 5% en 2006. Les charges financières des prêts s’alourdissent, la valeur des habitations devient inférieure à la valeur des crédits qu’elles étaient supposées garantir. Un nombre croissant de ménages craque et fin 2007, il est estimé à près de 15% de non-remboursements. 

La défaillance des utilisateurs en 2027 résulte d’une sur-sollicitation face à une attention limitée et un pouvoir d’achat limité. La quantité des sollicitations à été préférée à la qualité de ces dernières et le phénomène bien connu de l’aléa moral s’est observé : les risques excessifs de sur-sollicitations ont été pris car la sécurité de l’addiction aux médias et plateformes numériques et le fondement de l’économie de cette décennie sur les géants du numérique n’était plus à prouver. Une faillite des géants du numérique qui ne parviendrait plus à vendre de l’espace publicitaire (leur source de revenu principal) met en péril le système dans son ensemble. Too Big To Fail ? C’est ce que l’on pensait jusqu’à l’éclatement de la bulle de l’attention.